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Les battements de mon coeur
9 février 2015

Atelier d'écriture n°5

Source: Externe

   Jorge Agustin balaie le trottoir devant la devanture de son magasin : Agustin et fils, tailleurs pour homme. Il se doute que sa silhouette élégante peut prêter à sourire, il ne ressemble pas vraiment aux employés communaux chargés ordinairement de cette tache. Paire de ciseaux et aiguilles lui sont plus familiers que ce balai qui chasse la neige et laisse entrevoir le bitume. Jorge rêve, peu attentif à ces flocons qui font le bonheur des enfants. Il n'aime pas le froid, il n'aime pas l'hiver et le mois de janvier le ramène toujours loin en arrière, quand sa famille habitait encore à Buenos Aires. Trente-huit ans après son arrivée en France, il pense toujours à son pays et à la chaleur parfois insupportable qui marquait les débuts d'année. Santiago, son père, avait pris, le coeur lourd, la décision de l'exil en 1976, pour fuir la dictature du général Videla et lui, jeune homme de vingt ans, fou de tango, Argentin jusqu'à la moelle des os, avait suivi. Ils avaient foulé pour la première fois le sol français par un mois de janvier semblable à celui-ci, gris, froid, à vous geler l'âme.

   Jorge rêve et esquisse quelques pas de danse, le manche à balai comme partenaire. Evidemment celui-ci n'a pas la souplesse des femmes qu'il enlace le samedi soir au bal, à la salle municipale de Puteaux,  mais qu'importe, il danse. Ce qu'il préfère dans le tango, c'est l'abrazo, quand on approche lentement de la femme, sans se presser. Son corps, instinctivement prend la mesure de celui de l'autre et sa main vient se poser au creux des reins de Soledad ou de Sara, ce creux si doux, si profondément féminin.

   La neige tombe, recouvre la chaussée et le toit des voitures, elle virevolte, légère comme Jorge qui tourne autour de son balai. Les passants lui jettent des regards amusés, un adolescent sur le trottoir d'en face profite du fait que son pote contemple le vieil homme pour lui glisser une poignée de neige dans le cou.

" T'es con ou quoi ! On n'est plus à la maternelle ! ", l'instant de grâce est passé, les deux garçons continuent leur chemin et leur discussion sur le prof de Français, trop relou avec son devoir sur Rimbaud.

   Le vieil Argentin rêve, il se retrouve allée Caminato dans le quartier de la Boca et danse avec Lucila. Ils ont vingt ans et virevoltent, leurs corps s'épousent presque sans se toucher. Janvier 1976, sa famille s'est enfuie pour la France... Il n'a plus eu de nouvelles de son amour de jeunesse.

   Les flocons dansent, aériens et Jorge danse aussi, un tango, lent et sensuel, empreint de nostalgie.

Participation à l'atelier d'écriture de Leiloona. Ce texte s'inspire d'une photo de  Romain Cazaux

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Commentaires
A
Merci !
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S
Quel portrait poétique et sensible... j'ai dansé et voyagé avec Jorge.
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A
Qui sait...
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D
Sur un air de tango ... très sympathique cette histoire ! Retrouvera-t-il son amour de jeunesse ?
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A
Merci !
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