Vivre, une dernière fois...
Il y a les livres et puis de temps en temps un livre qui s'impose comme un évidence ! Celui de Jocelyne Saucier m'a embarquée sans coup férir et je m'apprête à le relire, ce que je ne fais pratiquement jamais.
Trois octogénaires ont décidé, à un âge déjà avancé, de tirer leur révérence à la vie en société et se sont retirés dans la forêt. Nous sommes dans l'Ontario et la nature n'est pas clémente. Ils bravent cependant la rudesse du climat, s'accommodant des hivers rigoureux et des étés écrasants, dans leurs cabanes au confort sommaire. Les jours s'écoulent dans un compagnonnage simple, la mort s'invite souvent dans leurs discussions mais ils la tiennent éloignée à coups de plaisanteries. Charlie et Tom ont rejoint dans cet Eden sauvage le premier arrivant, Théodore Boychuck, un survivant du Grand Feu de 1916. La région a été la proie de feux d'une ampleur inouie au début du XXème siècle. Cet homme est devenu une légende parmi les survivants : celui du jeune homme qui six jours durant avait marché dans les décombres fumants, silhouette fantômatique à la recherche dont on ne sait quoi. Ces trois hommes, en marge d'un système, prompt à les caser dans des Seniors'Home, doivent leur subsistance à un champ de cannabis planté près de leur camp et exploité par Bruno. Celui-ci s'est pris d'affection pour eux et les protège de toute intrusion des services sociaux, aidé par Steve, gérant d'un hôtel de luxe en pleine forêt, investissement immobilier hasardeux d'un Libanais.
Leur routine va être perturbée par l'apparition de deux femmes, une photographe qui a entrepris de faire le portrait des rescapés des incendies et la tante de Bruno, fragile porcelaine de 82 ans, enfermée 66 ans en hôpital psychiatrique. Cette dernière, rebaptisée Marie-Desneige, est un oisillon tombé du nid. Tous vont la couver, émerveillés ensuite de la voir petit à petit découvrir le monde et à ses côtés, ils reprennent conscience de la beauté des choses simples : un repas partagé, une nuit au chaud , une partie de cartes, les signes annonciateurs du printemps..
L'histoire est portée par une écriture magnifique, par un souffle épique quand l'auteur évoque les Grands feux, par un murmure poétique quand elle nous montre les premiers pas de femme libre de Marie-Desneige.
Merci à Cathulu pour cette belle découverte
"Il pleuvait des oiseaux, lui avait-elle dit. Quand le vent s'est levé et qu'il a couvert le ciel d'un dôme de fumée noire, l'air s'est raréfié, c'était irrespirable de chaleur et de fumée, autant pour nous que pour les oiseaux et ils tombaient en pluie à nos pieds."