Après avoir cassé le symbole de l'encyclopédie sur pattes, je vais écorcher davantage encore la légende ! Je ne suis pas qu'un pur esprit qui se nourrit de littérature mais une gourmande qui regarde avec une attention religieuse (raillée par ma fille aînée) l'émission "le Meilleur Pâtissier". Ce concours nous fait découvrir de nouvelles recettes et au fil des semaines ,le spectateur voit se dévoiler la personnalité des candidats.
Sarah Vaughan imagine dans son roman un concours dont l'objectif est d'élire la nouvelle Kathleen Eaden. Cette femme a fait paraître en 1966 un livre "L'Art de la pâtisserie", rapidement devenue la Bible de nombreuses cuisinières. Le style qui peut sembler suranné remplit pourtant d'aise les cinq candidats en lice : quatre femmes et un homme (grand oublié de la quatrième de couverture). Tous admirent l'auteur, icone parfaite qui allie classe, taille de guêpe et une vie ressemblant à un conte de fée.
Les épreuves vont se dérouler pendant l'hiver et le printemps 2012. Les "impétrants" doivent réaliser les grands classiques de Madame Eaden et de nombreux débuts de chapitre rappellent ceux-ci par des extraits du livre de cuisine : "une maison en pain d'épices est la version comestible d'une maison de poupée : un monde né de l'imagination d'une pâtissière- et réalisé grâce à un peu de sucre, d'épices, d'oeufs, de farine et de beurre... C'est, ou cela peut être la maison idéale".
Le lecteur découvre peu à peu chacun des candidats, Sarah Vaughan nous plonge dans leur quotidien et nous amène à comprendre les raison de leur inscription à ce challenge. Jenny, la cinquantaine, voit ses filles quitter la maison pour leurs études dans le supérieur, son mari se jeter à corps perdu dans la course à pied comme pour nier les traces du temps qui passe. Elle voit dans ce concours un moyen de sortir de sa cuisine, de sa vie qui tournait autour du bien-être de sa famille. Vicky, jeune mère au foyer, a laissé de côté son métier d'institutrice pour s'occuper de son fils Alfie, trois ans. Elle ose à peine s'avouer que ce rôle lui pèse et cette échappée culinaire lui offre la bouffée d'oxygène dont elle a besoin. Claire, caissière au supermarché Eaden, élève seule Chloé, neuf ans et rêve de gagner le concours pour la prime qui lui permettrait d'offrir une vie meilleure à sa fille. Mike, jeune veuf, père de deux jeunes enfants, cherche sans doute à se prouver qu'il peut être, en plus d'un père, une "mère nourricière". La dernière candidate Karen, sans doute le personnage le plus intéressant,est celle qui se rapproche le plus de Kathleen Eaden : beauté parfaite et froide, peu encline aux confidences.
Les épreuves se déroulent au manoir de Bradley Hall, ancienne demeure de la cuisinière hors paire et les candidats loin de leurs proches se surpassent dans la préparation de brioches, tourtes, mignardises et autres délices sucrés. Dans ce tourbillon de farine et de sucre, des sentiments s'exaspèrent, des amitiés se nouent, des amours se font ou se défont, et les pages de ce succulent mille-feuille littéraire se dévorent avec délectation. Les personnages sont entièrement crédibles, leurs histoires attachantes et il est difficile de se détacher de ce roman. A la fin du récit, seul un candidat sera récompensé mais tous auront mis au clair leur situation personnelle.
Après "Un parfum d'herbe coupée" de Nicolas Delesalle, les éditions Préludes nous offrent un nouveau roman, résolument contemporain mais qui explore avec intelligence les relations toujours complexes que nous entretenons avec notre famille , et cette notion tellement prégnante dans notre société qu'il faut tendre sans arrêt à la perfection dans tous les domaines.
Une excellente lecture !