Atelier n°21
Ce texte est ma participation à l'atelier de Leiloona. Il s'inspire d'une photo de Vincent Héquet.
Il l'a quittée, une lettre sur la table de la cuisine, quelques mots laconiques pour lui signifier son "congé". Elle n'a pas cherché à lire entre les lignes, à comprendre les raisons de ce désamour. Elle n'a prévenu personne, a remis son manteau qu'elle avait suspendu à la patère de l'entrée , fermé soigneusement la porte de l'appartement et s'est engouffrée dans les rues de Saint-Malo que novembre assombrissait. Dans sa tête, une phrase qui tourne en boucle "lâcher les amarres, tailler la route, lâcher les amarres, tailler la route". Ses pas ont guidé Delphine vers la gare maritime. Elle est entrée dans le hall et a demandé quand partait le prochain ferry pour Portsmouth. Il y avait une traversée de nuit et il restait de la place, départ dans une heure.
Son billet pris, elle s'est installé sur un banc pour attendre, parfaitement immobile. Se minéraliser pour ne plus penser, se pétrifier pour ne pas pleurer. Elle a enfoui son visage dans son écharpe, se concentrer sur la douceur du mohair, se frotter aux tendres fibres. Son téléphone portable a sonné, elle n'a pas ouvert son sac pour le récupérer. Surtout ne pas parler, ne pas ouvrir la bouche où un torrent de mots va jaillir : pourquoi, pour qui, à cause de moi, à cause de lui...
C'est l'heure de l'embarquement, elle monte à bord du Commodore Clipper et gagne un siège près d'un hublot. Peu de voyageurs sont en partance ce soir pour l'Angleterre et le calme se fait rapidement. Elle regarde les lumières du port qui s'éloignent peu à peu et sombre, sans même sans apercevoir dans un sommeil de brute. Au petit matin, elle se réveille, courbaturée, et décide de prendre un petit-déjeuner, son estomac vide est douloureux. Elle sait que bientôt, le bateau accostera et qu'elle pourra prendre un bus pour se rendre à la plage du Chesil. Enfant, elle y venait toujours en été. Parasol, glacière, cabas, seau, pelle, rateau, son père peinait sous la charge tandis qu'elle prenait son temps pour avancer sur le sentier qui menait à la plage.La main blottie dans celle de sa mère, ses petits pieds nus chatouillés par les grains de sable, elle avait le sentiment que tout était parfait.
Comme les oiseaux qui parcourent des milliers de kilomètres pour migrer vers des contrées plus chaudes, Delphine rejoint la contrée paisible de son enfance. Seulement, la plage du Chesil en automne n'a plus l'aspect d'une carte postale mais d'une tableau tourmenté: les nuages filent poussé par un vent violent et le froid l'a saisie immédiatement à sa descente du bus. Elle descend sur la plage et affronte les bourrasques. Elle ne marche plus, elle court, elle court à perdre haleine et quand son corps la lâche, elle se jette à terre, sur le sable mouillé, et laisse les larmes couler.