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Les battements de mon coeur
31 octobre 2016

Atelier n°57

Source: Externe

Ce texte est ma participation à l'atelier de Leiloona. Il s'inspire d'une photo de Julien Ribot.

   L'infirmière-chef regarda d'un air indulgent les trois silhouettes qui filaient vers la piscine désaffectée. Elles filaient petit train, Ernest Legendre, le cadet du groupe aurait tout de même quatre-vingt cinq ans au mois de décembre. Isabelle Pontecaille se gardait bien de se montrer, camouflée par le rideau de la salle des commencaux. Elle était supposée tout ignorer de l'escapade mensuelle des vieux messieurs et ne voulait pas leur gâcher le plaisir de la rouler.

   Tout avait commencé par un rendez-vous avec le fils de Francis Prat. Celui-ci s'inquiétait de découvrir son père, plus émacié chaque weekend. L'infirmière lui avait confirmé cette impression et révélé que l'ancien procureur de la République ne prenait plus que son café du matin avec des tartines beurrées. Il acceptait de s'asseoir à table avec les deux amis qu'il s'était faits au foyer-logement mais ne touchait pas à son assiette.Le psychologue de l'établissement l'avait rencontré et essuyé une fin de non-recevoir. Francis avait décidé de boycotter les tomates fadasses, les légumes bouillis, les bouts de viande plein de nerfs et les pruneaux au jus.

   Georges Prat avait alors eu une idée, validée par l'équipe du foyer-logement. Une fois par mois, il ferait rentrer discrètement dans l'établissement un colis contenant les plats préférés de son père. Aussitôt dit, aussitôt fait ! II mit celui-ci au courant. Cette entreprise, frisant le délit, plut infiniment à Françis. Il demanda simplement à son fils de prévoir des parts pour trois. "La nourriture, c'est meilleur partagée, mon garçon."

   Depuis un dimanche par mois, le trio mangeait du bout des lèvres à midi. Ils avaient le regard pétillant des enfants qui bernent les adultes. Vers treize heures, alors que tous convergeaient vers leur chambre pour la sieste, ils quittaient subrepticement le foyer. Francis Prat ouvrait le chemin, le colis mal dissimulé sous sa veste de velours.

   A l'abri dans la piscine, ils ouvraient le paquet et s'émerveillaient de ce qu'ils découvraient. Cette fois, Georges leur avait acheté des pieds de porcs panés, un gouda au cumin parfumé et des religieuses au café. A l'intérieur du colis, ils trouvèrent aussi des assiettes et des couverts en plastique, de même qu'une bouteille de Saint-Emilion et son tire-bouchon.Une fois servis, ils prirent place sur leur plot habituel et savourèrent leur festin dans un silence de cathédrale.

   Avant de regagner le foyer, Francis dégaina le feutre indélébile qu'il avait dérobé à une aide-soignante. Ils choisirent ensemble le meilleur endroit pour leur message et finirent par élire un espace entre NIKE LA SOSIETE et un énigmatique DOREF. De son écriture appliquée, Pierrot Gentric ajouta leur contribution à la" littérature" urbaine :

"FUCK LE POISSON PANE".

 

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Commentaires
A
Merci beaucoup !
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J
Un régal ce texte, sans parler du titre. Et quelle belle façon de retomber en enfance  J’adore ! :)
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B
J'espère de tout mon cœur que mes enfants auront la même idée quand le moment sera venue !...Je sais déjà à quel endroit j'emmenerai deux copines savourer le contenu de mon colis , je connais un banc face à la mer qui serait parfait....Je me demande si je ne vais pas découper ton texte et le glisser dans le tiroir de ma table de nuit !!!!!...Mais je me contenterai de nos initiales gravées dans un petit endroit discret !Charmant .....
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M
J'adore !!! Fuck le poisson pané ... très belle trouvaille !!!<br /> <br /> Pour le reste ... je comprends leur envie d'un petit peu de liberté ;-) vive les interdits, ils sont tellement plus savoureux !
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A
Je n'évoque que les repas, souvent livrés par une cuisine centrale dans les foyers-logements ou les hôpitaux. Je me garderai bien de critiquer le personnel pour l'avoir vu à l'oeuvre avec mes deux grands-mères.
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