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Les battements de mon coeur
7 novembre 2016

Atelier n°58

Source: Externe

Ce texte est ma participation à l'atelier de Leiloona. Il s'inspire d'une photo de Julien Ribot.

   Damien est penché sur son exercice de conjugaison, aussi silencieux que d'habitude. " Il m'arrive de l'oublier tellement il est discret !"  a dit la maîtresse, confuse, à son père, colosse débonnaire. " C'est sûr qu'il ouvre pas beaucoup la bouche,notre têtard ! " a-t-il répondu en riant. Le garçonnet ne complète pas la terminaison des verbes, il n'a même pas le crayon en main, perdu dans ses rêves. Il pense à sa maison secrète.

   Tous les matins, sur le chemin de l'école, il passe devant le mur en pierre et le portail fermé de la vieille bâtisse. Il s'arrête souvent pour effleurer de la main la végétation qui prend ses aises et déborde sur le trottoir. Damien imagine un jardin délivré des tondeuses et des sécateurs, un endroit où construire des cabanes.

   La maison est toute petite, juste à la taille d'un garçon de huit ans. Il réfléchit tout le temps à son futur emménagement. D'abord, la chambre. Un grand lit avec des oreillers moelleux. Il faut que le lit puisse accueillir toutes ses peluches et aussi les bébés chats qu'il adoptera. Damien dormira sous une couette pleine de couleurs, repérée dans un catalogue. Gouda et Mimolette lui tiendront chaud aux pieds, boules de poils au doux ronron.

   Maintenant la cuisine. L'achat d'un micro-onde est indispensable. Il ne sait pas encore cuisiner. Il commandera sur Internet des plats surgelés et aussi des boîtes de pâtés pour ses chatons. Il a déjà choisi sa vaisselle sur une publicité reçue dans la boîte aux lettres. Pas de problème, elle résiste au micro-onde. Au petit-déjeuner, il boira un énorme bol de chocolat chaud et mangera des grosses parts de brioche couverte de confiture de fraise, sa préférée. Par la fenêtre de la cuisine, il verra la mangeoire pour les oiseaux. Des mésanges bleues se disputeront les graines de tournesol qu'il aura achetées.

   A présent le bureau. Il imagine des canapés confortables, une table basse recouverte de bandes dessinées. Il installera dans un coin un arbre à chats pour Gouda et Mimolette. Ses chaussons glisseront sur le parquet bien ciré et il s'exercera à danser comme le samedi soir la télé.

   On frappe à la porte de la classe. Damien et ses camarades lèvent le nez de leur cahier. La maîtresse va ouvrir et deux jeunes hommes apparaissent, qui font signe à Madame Le Gall de les rejoindre .

"Je compte sur vous pour être sages ! Continuez votre exercice, je reviens tout de suite." Après avoir donné ses consignes, elle disparaît dans le couloir.

   Quand elle reprend sa place derrière son bureau, les mots "coups, insultes, privation de nourriture, tentative de défenestration" tournent et virent dans sa tête. Est-ce possible qu'elle n'ait rien vu ? s'interroge-t-elle. La sonnerie retentit pour la récréation de dix heures.

   "Les enfants, vous pouvez sortir ! Damien, tu vas rester un peu dans la classe avec moi. Il y a deux messieurs qui veulent te parler."

   Il acquiesce en silence. Tout à l'heure, il suivra calmement les éducateurs chargés de l'amener jusqu'au foyer de la ville voisine. Sa mère s'est décidée à parler, son père est sous les verrous. Elle a confié aux éducateurs un sac à dos avec les peluches de son fils.Ses dérisoires sentinelles continueront à veiller sur le sommeil agité du petit garçon.

 

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Commentaires
A
Je voulais effectivement que le lecteur prenne lentement conscience que ses rêves étaient étonnants (aucune présence parentale, une très forte envie de douceur et de protection, un grand souci de la nourriture).
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A
Quelle puissance dans ton texte ! D'abord toute la poésie des rêves d'un petit garçon, vouloir construire des cabanes, quoi de plus normal ? Je n'ai pas senti la bascule des univers, le moment où l'enfant s'imagine vivre seul avec ses 2 chats. Car là, on n'est plus dans le normal et la violence fait irruption avec brutalité.
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A
On se demande surtout comment un homme peut se comporter ainsi ...
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B
Je l'imaginais tout bêtement dans une barre d'immeubles, ayant choisi de rêver tous les jours à un autre univers en passant devant cette vieille maison sur le chemin de l'école....Et en fait ce rêve l'aidait à supporter l'insupportable....J'espère qu'il trouvera sur son chemin une autre figure paternelle pour se construire....On se dit parfois qu'il y a des gens qui ne méritent pas d'avoir des enfants ....
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S
Waouh Albertine quelle histoire poignante ! Tu m'as saisie ! Bravo !
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