Atelier n° 81
Ce texte est ma participation à l'atelier du blog Bric à Book. Il s'inspire d'une photo de Leiloona.
Amélie est sage comme une image, soucieuse de ne pas éveiller l'attention sur sa présence dans la bibliothèque. Un souffle léger venu du jardin caresse sa joue sans avoir la force de soulever sa frange. Cette frange, comme elle la déteste ! Sa mère la coupe tous les quinze jours en disant : " On ne va pas payer le coiffeur pour ça.", et Amélie se retrouve une fois sur deux avec des cheveux raccourcis à la va comme je te pousse. Si elle se plaint du résultat, les mains affectueuses de son père lui ébouriffent la tignasse et les mêmes mots répondent chaque fois à son mécontentement : " Tu as bien le temps d'être coquette ! Pour l'instant, tu restes notre gros poussin."
Depuis quelques temps, Amélie n'aime plus les comparaisons animalières. Les poussin, biquette ou chaton l'agacent, surtout quand ils sont prononcés en public. Les démonstrations d'affection de ses parents lui pèsent. Elle les trouve lourds, sans grâce et se prend parfois à les détester. Les détester sans raison, simplement pour ce qu'ils sont. Ils ne ressemblent pas aux parents de Bérangère, sa nouvelle meilleure amie. Il n'y a qu'à regarder leur bibliothèque et tous ces livres soigneusement rangés. L'odeur de cuir des reliures se mêle à celle entêtante des jasmins plantés près de la fenêtre.
Bérangère l'a invitée pour son anniversaire, mais Amélie s'est éclipsée assez rapidement. Elle entend de façon assourdie le bruit de la fête. Ils sont une quinzaine autour de la piscine. Le garçons montrent leurs muscles et se jettent à l'eau en faisant la bombe pour éclabousser les filles. Celles-ci poussent de petits cris faussement indignés. Amélie a progressé à pas de velours dans la maison, effleurant du bout des doigts les consoles en marbre, admirant les toiles accrochées aux murs. Elle a poussé une porte et découvert cet endroit, le paradis à ses yeux. Une pièce dévolue aux livres, ses alliés de toujours contre la dureté du monde.
Amélie est sage comme une image, un roman de Victor Hugo posé sur ses genoux. Elle ignore qu'il s'agit d'une édition originale, mais devine que le papier est d'une qualité supérieure. Il émane des pages une fragrance ancienne et miellée. Chez elle, personne n'apprécie vraiment la lecture. Avant, cela ne la dérangeait pas. Inscrite à la médiathèque, elle dévore les pages plus vite que son ombre, indifférente aux remarques de ses proches. Sa grand-mère répète souvent : " A force de lire, elle va nous attraper une méningite !"
Comme elle aimerait que ce moment de paix ne cesse jamais ! Arrêter le temps, mettre sur pause ce corps qui grandit et cet esprit qui s'affûte et devient parfois cruel.La vie devrait toujours avoir la douceur de cet après-midi de juin.