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Les battements de mon coeur
14 juillet 2019

La Grande Escapade de Jean-Philippe Blondel

 

Source: Externe

"Bienvenue à bord de notre machine à remonter le temps affrétée par la compagnie Marcel Pagnol et René Goscinny. Notre commandant de bord, Jean-Philippe Blondel, vous souhaite un agréable voyage et me charge de vous dire que notre arrivée est prévue en juin 1975 dans un groupe scolaire, pas très loin de Paris. La météo y est de saison, petite brise et quelques cumulus de beau temps."

Je viens d'achever " La Grande Escapade" et je suis triste comme l'on peut l'être quand on doit quitter un lieu que l'on aime. J'aurais tellement aimé rester cette année-là et être la petite de la bande d'enfants du groupe scolaire. En 1975, les instituteurs, qui ne s'appelaient pas encore professeurs des écoles, étaient fonctionnaires logés et il leur arrivait de vivre en "caserne" comme les gendarmes. Leurs appartements se situaient au- dessus des classes et une fois les élèves partis, les bâtiments devenaient le terrain de jeu des rejetons des maîtres et des maîtresses. J'aurais adoré être le boulet de sept ans, toléré par les grands de peur qu'il aille cafter aux parents les activités secrètes de la bande, comme jouer au loup en courant sur la corniche du groupe scolaire, histoire de flirter avec le danger.

Philippe Goubert ouvre le roman de manière spectaculaire. Sa maladresse légendaire lui a valu de s'emmêler les pinceaux et de chuter de la corniche. Heureusement, il s'est rattrapé et est à présent suspendu à douze mètres du sol. Les pompiers vont-ils arriver avant que ses mains rendues douloureuses par l'effort ne lâchent le rebord de la corniche ? Tout l'art de l'auteur réside dans la manière dont il nous narre cet épisode. Il nous fait partager les pensées du garçonnet de dix ans, fils de la directrice de l'école maternelle, gaucher contrarié et futur écrivain. Il ne cède pas à la panique, protégé par cette croyance enfantine que la mort est une affaire bien trop sérieuse pour concerner les plus jeunes. Il s'imagine que son aventure fera l'objet d'une parution dans la Bibliothèque Verte et sera adaptée en série télévisée diffusée le samedi après-midi.

Au fil du roman, en utilisant habilement le style indirect libre, Jean-Philippe Blondel nous permet de pénétrer la conscience des habitants de cette petite communauté, où les adultes et leur progéniture mènent des existences bien distinctes. En 1975, les enfants vivent leur vie pendant les grandes vacances et les mère n'exigent d'eux qu'une seule chose : d'être rentrés à 18h30 pour la débarbouillette et le repas du soir. Les deux "clans" possèdent meneur, outsider, "pin-up" et "mouchard". Les intrigues ne sont pas si différentes que l'on est dix ou quarante ans. La jalousie, le goût du pouvoir, le manque de tolérance face à la différence sont des sentiments que l'on éprouve à tout âge.
Ce mois de juin 1975 , sans compter les acrobaties de Philippe Goubert, est amené à demeurer dans les annales. Mai 68 a laissé des traces. Le groupe scolaire s'ouvre à la mixité, au grand dam des instituteurs "Vieille France" et voit l'arrivée de Charles Florimont, un dangereux activiste, adepte de la philosophie Freinet, considéré non pas comme l’œil de Moscou mais de l'Inspecteur dont il aurait les faveurs. Gérard Lorrain, directeur de l'école primaire, régnant par la terreur sur les CE2, le considère comme un rival dans son pré carré. L'affaire se corse quand on découvre que le sieur Florimont et la pulpeuse Michèle Goubert se sont déjà rencontrés douze ans auparavant et qu'entre eux couve le feu d'une passion jamais éteinte.Voilà de quoi noircir les carnets de Geneviève Coudrier, maîtresse des CM1, certainement concierge dans une autre vie.

Quel bonheur que la lecture de ce roman ! J'ai retrouvé l'atmosphère de mon enfance, les relations encore très codifiées entre mari et femme, les étés à faire des cabanes et à lire Pif et Rahan, les journées qui s'étirent et ont comme un parfum d'éternité. L'auteur avec un art d'autant plus consommé qu'il est discret nous raconte une tranche de vie à la façon d'un Pagnol ou d'un Goscinny. Les portraits sont tellement justes, poussés presque jusqu'à la caricature pour l'effet comique sans verser dans celle-ci. Les petites vies de ce groupe scolaire sont racontées avec une infinie tendresse et une nostalgie lucide. Les âmes sont mises à nu, mais le ton reste presque toujours de lui de la comédie. La Grande Escapade est l'épisode le plus drôle de l'histoire. Feydeau n'aurait pas renié ce "voyage" extraordinaire, accompli par quatre enseignants du groupe scolaire.

Merci encore à Jean-Philippe Blondel pour cette madeleine de Proust, trop vite dévorée ! Elle a comme un goût de "Revenez-y". Je la verrai bien accompagnée d'un fond de culotte, un verre de Suze Cassis ! (Une blague très en vogue dans les années 70 :-) !)

Parution le 15 août 2019
     
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