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Les battements de mon coeur
14 janvier 2023

Pas perdue ( Atelier d'écriture n° 85)

Source: Externe

Retrouvez les textes des autres participants sur le blog d'Alexandra pour découvrir ce que cette photo leur aura inspiré.

 

 Pas perdue

La lumière tombe des vitraux et donne au hall de gare des allures de cathédrale. On pourrait presque s’y tromper sans la présence des panneaux annonçant l’arrivée et le départ des trains. Je suis encore trop loin pour y lire ma destination. Je ne suis d’ailleurs pas si pressée de chercher et de retrouver le nom de ma ville natale.

Il était enfoui dans un recoin noir de mon esprit. À mon arrivée à Crozon, si quelqu’un m’interrogeait sur mes origines, je le crachais comme on crache un fruit pourri. Avec le temps, plus personne ne me pose la question. Je fais dorénavant partie du paysage, de ce coin de terre sauvage, à la beauté rude, qui ne s’offre pas au premier regard.

Tout à l’heure, j’ai retourné la pancarte du côté « Fermé pour congés ». Sur la porte vitrée de mon atelier de céramique, elle affiche mon absence inattendue en ce mois de novembre. Je quitte mon refuge pour marcher à rebours, remonter le temps et rejoindre la maison dont j’ai claqué la porte il y a 18 ans.

Mon petit bagage à la main, je n’ai pas prévu de m’attarder sur place, je m’approche des panneaux. Mon train est annoncé dans 6 minutes voie 2. Je reste plantée là, pétrifiée par le nom de ce lieu que mon corps, encore plus que ma raison, regimbe à regagner.

Là-bas m’attend mon frère. Il m’a prévenue de le retrouver au funérarium. Il se charge d’accueillir les quelques personnes venues rendre visite à mon père.

De lui ne me reviennent que les derniers mots qu’il m’a jeté à la figure, ses joues violacées et sa bouche déformée par la fureur : « Fille perdue ! »

Dans cette salle des pas perdus, je me souviens de la douceur de la peau de Sylvain et de l’ardeur de nos 17 ans. Depuis cet été enfiévré, nous nous sommes assagis. La mer d’Iroise a boucané son visage d’angelot. Pierre, notre aîné, veut devenir pêcheur comme lui. J’aime le sel sur ses joues encore rondes quand il rentre d’une sortie en mer avec son père.

Dans ma tête trottent ces deux mots « Fille perdue ! ». Dans la salle des pas perdus, au-delà de la mort, je voudrais lui répondre avec l’aplomb donné par les ans. « Pas perdue ! Éperdue d’un bonheur qui s’est construit dans l’adversité, sur une presqu’île battue par les vents, loin, très loin de Perpignan ».

 

 

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Commentaires
A
Je suis déjà très attachée à ce personnage.
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A
oh! superbe! très prenant!
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L
Encore une fois tu m'as emporté avec toi sur ce quai de gare.
Répondre
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