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Les battements de mon coeur
10 octobre 2016

Atelier n°55

Source: Externe

Ce texte est ma participation à l'atelier de Leiloona. Il s'inspire d'une photo de Vincent Héquet.

   Elle roule sur la nationale qui longe la côte. La fatigue commence à se faire sentir, elle ouvre sa fenêtre pour laisser l'air marin lui donner un coup de fouet. Son café, pris à la hâte en regardant le ciel se parer de rose, n'est plus qu'un lointain souvenir. Plestin-Les-Grèves n'est plus qu'à quelques kilomètres, elle sera à l'heure pour l'enterrement de Tante Euphrasine. 

   Euphrasine est sa tante Léonie à elle. Elle garde des souvenirs non pas de madeleines trempées dans une tasse de thé mais de crêpes émiettées dans un bol de café au lait. Ses joues se rappellent aussi les baisers qui piquent de la vieille dame dont le menton était orné d'une authentique barbe. Jeanne se demande pourquoi elle fait le déplacement. Est-ce bien raisonnable d'avoir décidé sur un coup de tête, de quitter Paris pendant trois jours, pour accompagner à sa dernière demeure une parenté âgée de 99 ans ?

Ils vont pouvoir respirer pendant son absence. Elle n'ignore pas que ses étudiants retiennent son souffle en sa présence. A croire qu'ils participent à un concours d'apnée. Elle en impose, froide, facilement cassante, tendue vers un seul but : l'efficacité. Ses cours de Littérature comparée sont très recherchés, poursuivre un master de recherche avec elle est une chance, pas forcément un plaisir. Jeanne, seule, sait qu'elle n'a pas toujours été ce bourreau de travail, imperméable aux sentiments. Pierre, elle l'a tellement aimé qu'après son décès accidentel, son coeur s'est mis en veille.

Elle arrive à la hauteur de Saint-Michel en Grève et redécouvre, comme un trésor oublié, la plage immense et une mer aux nuances grisées. Des chars à voiles, bolides aux voiles colorées, se défient sur la longue étendue de sable mouillé. La station balnéaire a toujours le même charme qu'avant, avec son grand hôtel et ses magasins de souvenirs bretons. Elle semble bien déserte cependant en ce mois de novembre glacé.

La voilà à l'église, entourée des siens. "Tiens une revenante !" lui a lancé son frère. "On ne pensait pas que tu serais venue." lui a glissé sa mère. "Fallait pas te donner cette peine !" a conclu son père. Elle ne peut pas leur en vouloir, ils ne la voient qu'à Noël, deux jours d'agapes et de réjouissances factices. Avant de les rejoindre pour le café qui suit la cérémonie, elle emprunte la clé de la maison de tante Euphrasine et se rend à pied jusqu'à celle-ci. 

Passé le seuil, une odeur de renfermé et d'humidité la happe. Elle parcourt rapidement les pièces du bas qui semblent déjà à l'abandon et monte au premier étage. L'attend la chambre d'Euphrasine, où la vieille dame recevait comme Louis XIV à Versailles. La famille était confiée à assister à son goûter et devait lui faire la conversation pendant qu'elle avalait son peu ragoûtant mélange.

L'endroit baigne dans la lumière de fin d'après-midi. Jeanne se rend compte que sa mère a déjà entrepris de faire le tri. Des piles de draps sur le radiateur, des couvertures en vrac sur le lit. Les cadres ont échappé pour l'instant à ses mains efficaces et posent toujours, comme à la parade, sur le mur près de la fenêtre. Elle allume le plafonnier et les ampoules brillent dans la pénombre rampante. La chambre, pour un regard étranger, serait sinistre. Jeanne ne la voit pas vraiment. Elle l'imagine comme durant son enfance. Un lieu chaleureux abritant une vieille dame aigrie par la solitude. Un cocon pour une vieille ronchon. Elle s'assoit ou plutôt s'enfonce dans le lit. "Tante Euphrasine, c'est moi !" murmure-t-elle tout bas.

Elle se relève et ouvre le tiroir du haut de la commode. Sa tante avait l'habitude d'y ranger ses foulards, son unique fantaisie. Jeanne en choisit un, fuschia avec des papillons diaprés. Elle l'enroule autour de son cou et redescend l'escalier. Ses talons claquent sur le bois verni en un staccato guilleret.

 

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Commentaires
A
C'est sympa de penser à ses élèves ;-) !
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V
Une maison pleine de souvenir, Jeanne en emporte un bout avec elle ! J'espère qu'elle sera moins dure avec ses élèves à l'avenir... Bravo en tout cas !
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L
Les maisons se parent des odeurs des gens qu'elles abritent. Cette maison a l'odeur de la tante Euphrasine, petite madeleine de Proust pour Jeanne.
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A
Je mesure ma chance. Tu dois maintenant devoir imaginer ta retraite en Bretagne :-) !
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L
Tous les jours voir la mer, quelle chance tu as!<br /> <br /> Un beau texte, à chaque fois je me fait "avoir" et ai envie d'avoir la suite de la vie de tes personnages.
Répondre
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